En septembre dernier, je rencontrais Bertrand dans un amphithéâtre. Il me dit que je devrais recueillir le témoignage d’anciens déportés. Quelques jours plus tard, Jessica propose à ses contacts Facebook une invitation pour l’inauguration du mémorial de la Shoah à Drancy. Je m’y rends. Dans le RER, je rencontre une bande d’octogénaires. Nous sympathisons. Je ne sais pas trop comment nous en arrivons à parler de Pitchipoï. Je découvre alors qu’une des femmes du trio qui ne fait pas son âge, coquette et discrète, a été déportée à Auschwitz. Je lui parle de mon blog et tout ces hasards qui pointent dans la même direction. Je lui demande si elle accepterait d’en parler devant ma caméra. Elle m’avoue qu’elle n’en parle même pas avec ses enfants. Cela reste un souvenir traumatisant pour elle. Nous nous quittons sur le quai de gare loin de ma destination dans des échanges de sourires et de bises.
Bertrand m’envoie un message: Magda Hollander-Lafon, ancienne déportée, est l’invitée d’un libraire parisien pour parler de son livre Quatre petits bouts de pain : Des ténèbres à la joie. Je suis assise en face de Magda, les yeux dans les yeux. J’ai été profondément touchée par ses mots, par son message de paix. J’ai ri, frissonné, pleuré en écoutant son récit. Magda va dans les écoles, sur les plateaux de télé, sur les scènes pour passer son message d’amour. Elle a mis 30 ans avant de pouvoir parler de son expérience.
Malgré ce faisceau de coïncidences, je n’ai pas pu recueillir de témoignage. La vie m’avait pourtant fait de gros clins d’œil!
Le 29 avril dernier, Tibor m’invite à venir voir son spectacle de mentalisme au théatre Clavel. Mon voisin de droite se penche au dessus de moi pour dire à mon voisin de gauche: « J’ai trouvé un éditeur. L’histoire de ma mère est publiée ». Je ne connais pas mon voisin de droite mais ma curiosité ne semble pas se soucier de ce genre de détails. Votre mère? …
Le livre c’est « A5564 ». A5564: le tatouage sur l’avant-bras de Many, son billet d’entrée à Auschwitz. 93 ans et vive comme une jeunette. Je vous révèle ici son secret de jouvence: le champagne et les boudoirs. Mady est passée du faste du music-hall à l’enfer des camps et nous transmet dans ce long entretien son histoire.
Je suis déconcertée par la rencontre de ces trois femmes. Elles sont toutes trois passées par Drancy et les camps de la mort et pourtant leurs vécus sont si différents. Leur expérience, leur retour, le reste de leur vie… aux antipodes. Je me suis souvent posée la question de qui je serais face à l’horreur. Je n’ai pas vraiment de réponse mais je n’oublie pas que des hommes et des femmes encore à nos cotés ont du faire des choix, constater la lâcheté et la cruauté. Je n’oublie pas que l’on retrouve les traces de nos manques d’amour dans des détails du quotidien. Je n’oublie pas qu’il est facile de s’endormir.
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La lettre d’information de mai: Egotique
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